Le jeune homme du quatuor (off)
Vas te coucher, bébé, c’est l’heure !La jeune femme (off)
Alors mon chéri, qu’est-ce que tu attends ? Au dodo. C’est l’heure ! Tu veux une berceuse mon petit chéri ?
De nouveaux éclats de rire et des lampes-torches qui s’allument et s'éteignent, dessinent des cercles dans l'espace, puis se braquent ensemble sur son visage pour tenter de l'aveugler. Il chancelle sur son échelle, et se protège de son bras. Il finit par stabiliser l'échelle. Un silence se fait, entrecoupé d'éclats de voix et de rires, de rythmes de tambour désordonnés.
Le jeune homme
Prend des cours mon vieux ! T'es ridicule avec ton petit tambour !
Le quatuor se rapproche du bâtiment du Nord, et se déchaine avec ses lampes et ses tambours, fait des effets de lumière circulaires dans le ciel et de plus en plus de bruit. Ils finissent par lancer des pétards, des feux d’artifice, et continuent de se moquer de lui. Youngha regarde tout autour de lui : devant lui les lumières du quatuor, à sa droite et sa gauche la nuit envahissante qui obscurcit tout, et derrière lui, la forêt, toute noire. Il se tourne doucement vers la forêt. Puis il entend, très faiblement, le rythme d'un petit tambour. Il tourne résolument le dos à l’esplanade et se remet à taper de plus belle sur son tambour, sur le même rythme que le tambour lointain. Le quatuor, au pied du bâtiment du nord, se déchaine à nouveau sur ses tambours et ses cloches, avec ses cris, et tente encore de l'aveugler avec ses lampes-torches.
On s’élève doucement au-dessus du bâtiment (drone), on tourne autour de Youngha, qui finit par descendre de son échelle, la replier et la jeter de toutes ses forces en direction du quatuor. Le silence se fait. On (le drone) s'élève encore, on voit toute la JSA, le bateau de corsaire, la piscine, le village Choseon au fond, on tourne puis on se dirige vers la forêt. On voit l'ombre du soldat français qui entre dans la forêt, on passe au-dessus, au ras de la canopée. De l’autre côté de la forêt, le studio du nord, le quartier chinois, coréen, japonais, occidental. Puis le village Choseon, symétrique. Tout est vide et silencieux. On continue de monter, on commence à avoir une vue d’ensemble de la situation géographique, les studios nord et sud collés l’un à l’autre, avec pour frontière, la forêt.
AUBE. Le cadre est partagé horizontalement en son milieu par la ligne dégagée terre/ciel. Le jour se lève, on entend des bruits de cloches et de tambour désordonnés, agressifs, qui approchent. Le quatuor entre en file indienne par la gauche et se découpe en ombres dans le paysage. Ils sont vêtus de noir. Vient en tête la vieille femme, qui tient des cloches qu’elle agite en rythme chaotique. Puis la jeune femme qui brandit un bâton de bois sur lequel est fichée une grosse tête de chien jaune en carton. Elle porte toujours le collier de chien autour de son cou, avec le petit tube de métal qui y est accroché, et le jeune homme, qui vient derrière elle, tient l’extrémité de la laisse accrochée au collier. Il porte sur sa tête une énorme tête de chien jaune en carton peint, une grosse tête de carnaval. Les deux poussent des cris de chien, des cris de douleur. Puis vient l’homme plus âgé, qui tient un gros tambour, et qui bat un rythme aussi désordonné que les cloches de la vieille femme. Le son est fort, bien que les personnages se découpent en tout petit sur le ciel. Ils ont l’air un peu ivres.
Plan d'ensemble sur les mêmes qui entrent par la droite dans le cadre, un peu après. Le jour s’est levé. La partie gauche du cadre est vide. Ils viennent de l’esplanade de la JSA et se dirigent vers le village Choseon. Ils sont déchainés, font de plus en plus de bruit, comme si c’était l’objet même de la procession.
Plan moyen sur eux. Ils passent devant la maison de Hayoun. Elle sort de sa maison, réveillée par le bruit. Elle est furieuse, une provocation. Elle les regarde arriver lentement, debout sur sa terrasse, eux la fixent également et ils ralentissent en passant devant elle. Elle attend quelques secondes puis, d’un seul coup, elle saute de sa terrasse, s’avance rapidement vers la jeune femme et arrache le petit tube du collier. Elle le tient dans sa main qui reste en l’air, et elle les toise. Ils continuent de la fixer puis se regardent entre eux, hésitent, et la vieille femme fait un signe du menton : ils reprennent leur marche processionnaire. Ils la contournent. Elle reste là, immobile au milieu de la rue. Les cloches et le tambour ont perdu de leur virulence et les deux jeunes gens se taisent. Elle se tourne vers eux et les regarde s’éloigner. Elle tient toujours en l’air son poing serré sur le petit tube. Quand ils sont un peu éloignés, la jeune femme du quatuor pousse un cri déchirant de douleur de chien. Une dernière provocation. Hayoun reste devant sa maison à les regarder partir, elle est toute tremblante, au milieu de la rue, le poing toujours levé, étonnée elle-même de sa propre action .
MATIN TÔT. Travelling silencieux (par drone) à travers le village Choseon (montage nord et sud) absolument désert. Dimanche. Pas de touristes, personne ne travaille. Sentiment agréable de planer, sérénité, un peu de vent.
MATIN. Hayoun est au lit, les yeux ouverts. Elle se tourne et se retourne. Elle allume. Dans sa main serrée, le petit tube. Elle ouvre la main, commence à dévisser le tube, puis se ravise et le revisse. Se lève, le met dans sa poche. Sort sur la terrasse où le bol du chien est resté renversé. Elle en ramasse le contenu, le met à la poubelle. Nettoie la terrasse. Elle jette un coup d’œil alentour. Elle rentre et se fait un café, sort s’asseoir sur le banc. Prend le tube de sa poche. Attend un moment avant de le dévisser. En sort le petit papier, qu’elle tient dans sa main encore un moment avant de se décider à le lire. S’immobilise un moment. Puis un sourire.
MATINÉE. Youngha se lève d’un bond, met un pantalon et se dirige pieds nus vers la terrasse, puis vers le trou qu'il avait creusé et que le quatuor a rebouché la veille. Puis il attrape une pelle et commence à nouveau à creuser le trou.
APRÈS-MIDI. Youngha et Hayoun se promènent, désoeuvrés, dans le studio de cinéma. Des plans d’ensemble, on comprend mieux l’espace. Elle entre dans les maisons, certaines sont ouvertes, certaines fermées. Youngha, lui essaie de passer derrière les maisons, dans les interstices.
CRÉPUSCULE. La mare. Une dizaine de poissons au fond de la mare ont élargi leurs rondes (plus de bocal invisible). La mare est maintenant pavée de carrelage blanc avec des motifs bleus, et est devenue un joli bassin de pierre. Des graminées autour, quelques fleurs, elle a été domestiquée. Une grenouille saute dans le bassin.
QUELQUES MINUTES AVANT MINUIT. Youngha est assis dans un des deux transatlantiques sur le toit du bâtiment du nord, l’échelle repliée, à terre devant lui. Il regarde le ciel, il semble parfaitement calme. Il regarde sa montre, dont le cadran s’illumine de petites lumières vertes qui deviennent bleues, puis rouges, et se mettent à tourner autour du cadran. Il reste comme ça un certain temps, puis se relève et regarde autour de lui. On distingue un peu l’esplanade de la JSA, le grand escalier, le bateau de corsaire, le nouveau bâtiment coréen et au fond, les ombres du village Choseon. Il dresse l’échelle au milieu du toit, grimpe dessus avec son tambour en bandoulière, s'installe tout en haut à califourchon, sa lampe frontale lui donne un peu de lumière. Il regarde partout autour de lui dans le noir, le studio n’est éclairé que par la lumière de la lune. Puis il commence à improviser un rythme sur son tambour. Il s'arrête pour écouter. Pas de réponse. Il recommence à taper. Il s'arrête à nouveau et entend un rythme différent sur un autre tambour. Et des éclats de rire dans le noir.