Le chien arrive derrière lui et le dépasse. Il suit maintenant le chien, qui trottine devant lui. Marche, s’arrête, regarde autour de lui. Repart…

Le soldat
J’aurais bien aimé la voir. Mais elle est née le lendemain, juste le lendemain de mon départ. Je pouvais pas la voir… C’est triste, je ne sais même pas à quoi elle ressemble…

Se retourne de part et d’autre, s’énerve subitement.

Le soldat
Bon, faut y aller là ! Si on reste ici, ils vont nous avoir. Faut avancer ! Mon capitaine, faut avancer ! Tout de suite ! Mon capitaine, allez, bougez un peu ! Merde ! Non ! Allez, bouge-toi François Bon Dieu ! Non ! Bouge-toi ! Reste pas là…

Au bout d’un moment, le chien sort de la ruelle, s’assoit et attend que le soldat sorte aussi. Mais on entend des voix qui s’approchent. Les voix virulentes du quatuor qui chante à tue-tête. Elles effraient le soldat qui se tait et fait demi-tour. On ne voit pas le quatuor, on ne fait que l’entendre. Puis un cri de douleur du chien, qui arrive à toute allure dans la ruelle vers le soldat pour se cacher. Il a encore pris une pierre. Le chien passe en courant devant le soldat, qui le regarde s’enfuir au fond de la ruelle. Une pierre tombe à ses pieds. Il la regarde et recommence à soliloquer.

Le soldat, tout doucement
Allez, bouge-toi. Tu peux pas rester là. Ouvre les yeux ! Arrête, bouge-toi….


DÉBUT DE SOIRÉE. Hayoun termine son diner. Elle est fatiguée et cela se voit dans la lassitude de ses gestes. Elle se lève et débarrasse la table, pose la vaisselle dans l’évier. Puis elle sort sur la terrasse, et y découvre le chien allongé. Elle le caresse, lui parle doucement et va lui chercher à manger. Pendant qu’il mange, elle lui accroche un collier autour du cou, auquel est accroché le petit tube par un anneau. Le chien se laisse faire. Elle entre dans la maison chercher sa veste, elle appelle le chien, et va se promener avec lui, il la suit un peu derrière, un peu devant. Son téléphone portable sonne.

Hayoun
Oui ? C’est toi, qu’est-ce qu’il y a ? (…) Ah. Comment il l’a su ? Et Maman, qu’est-ce qu’elle dit ? Oui, je vois. Ca ne m’étonne pas. Et bien on va le laisser appeler, et on verra bien. Il ne sait toujours pas où je suis, n’est-ce pas ? Bon, alors tout va bien. On le laisse appeler, et jil va se décourager. Ne t’inquiète pas, ce n’est pas de ta faute. Je t'embrasse. Au revoir Grand-mère.


SOIRÉE. Youngha, dans sa maison. Panoramique lent sur les objets. Un miroir qui permet de l’apercevoir de dos, à sa table, en train d’écrire. De temps en temps, il lit une phrase à voix haute, puis se tait. On entend des petits raclements d’objets sur sa table.

Journal de Youngha
13 juillet : quelqu'un d'autre travaille dans ce studio, mais je ne l'ai encore jamais vu. C'est curieux parce qu'il est grand, ce studio, mais pas infini. Des réparations sont faites que je ne n'ai pas faites, des choses sont repeintes, rebouchées, réparées, nettoyées dont je ne me suis pas occupé. Ceci dit, on n'est pas trop de deux. Mais j'aimerais bien savoir qui c'est ? Le rencontrer. On pourrai se coordonner. En fait, si je ne l'ai jamais vu, je crois que je l'ai entendu. Je vais demander à Yong. Ou a l'administration. En tout cas, ce serait bien de ne plus être seul.

 

Soir. Vues sur les maisons du quartier occidental. Au fond, entre les deux maisons (ci-dessous), un champ avec une cabane en chaume. Le quatuor, vêtu de blanc, traverse le champ en direction de la cabane. Les deux hommes portent les Gats. Le père marche devant les trois autres et brandit une bannière représentant un poisson. Les trois autres, derrière, récitent une sorte de comptine dont on ne distingue pas les paroles, mais seulement le rythme et l’air. Le jeune homme et la jeune femme tiennent la femme âgée par le bras et le jeune homme brandit la canne de la vieille femme en rythme.

 

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1 Gros maki très coloré garni de riz, d'omelette, de viande hachée, de saucisses et d'épinards.

suite
JOUR 3

DÉBUT DE MATINÉE. Youngha tourne le coin d'un bâtiment avec un gros tuyau orange qu’il veut ranger à l'intérieur et il s’arrête, stupéfait : le lieu est jonché de planches, de tôles ondulées, de morceaux de verre, de métal, comme après un désastre, une guerre. Des débris semblables à ceux qu’il a trouvés la veille au soir. Il pousse un cri. Il ne reconnaît plus le lieu, tourne lentement autour du site dévasté, il a l’air effaré, dépassé par l’ampleur du désastre. Il s'assied par terre et regarde fixement le tas de débris. Puis il se lève, ôte sa veste et commence lentement, en hésitant, en tirant et en poussant, à empiler des morceaux les uns sur les autres. Il rassemble en tas des matériaux identiques, le bois, le métal, le verre. Il court d’un endroit à l’autre, il hésite, il attaque par tous les bouts à la fois, et ça n’avance pas. Il s’arrête, il regarde autour de lui, il s'assied à nouveau par terre. Il regarde encore autour de lui, il cherche quelqu'un. Lentement, il se relève, remet sa veste puis avise la porte qui ferme le hangar, et constate qu’elle est fermée par un cadenas. Il tripote un peu le cadenas, tire dessus, puis renonce à ouvrir la porte. Lentement, il fait demi-tour et sort lentement du champ. La caméra le suit en panoramique, et on découvre qu’on est derrière le bâtiment du Nord de la JSA. Il contourne le bâtiment et descend les escaliers. Il traverse la frontière. Le site est désert.


MILIEU DE MATINÉE. L'une des maisons occidentales est un atelier de bricolage. Des outils, des planches, des boites etc. Une ampoule qui pend du plafond pour tout éclairage. Hayoun farfouille dans des boites de conserve remplies de clous, de vis, de trucs. Elle cherche quelque chose de précis, qu’elle ne trouve pas. Elle regarde sous l’un des plans de travail de l’atelier, dans une grande caisse en bois remplie de petites boites. Elle en vide une ou deux, continue sa recherche, et finalement trouve ce qu’il lui faut : un petit tube en métal avec un bouchon qui se visse. Il est tout sale, elle le nettoie avec un pan de sa chemise. Elle trouve dans une autre boite un petit anneau qu’elle fixe au tube. Elle met le tout dans sa poche et sort de l’atelier, l’air satisfaite. Puis elle rentre chez elle. Pas loin de l’atelier, en plein milieu de la rue, des débris de la guerre. Elle s’en approche, les examine, puis retourne à l’atelier où elle prend une petite charrette à bras. Elle dépose les débris dans la charrette. En rentrant chez elle, elle passe devant la prison japonaise. Elle s’arrête, réfléchit, regarde par les meurtrières, laisse la charrette devant la porte, puis entre dans la cour et inspecte le bâtiment. Elle tourne autour, regarde par les fenêtres. La prison est vide, aucun meuble ou objet dedans. Elle ouvre la porte d’une dépendance et regarde à l’intérieur. Tout est très propre, les bâtiments ont été nettoyés récemment. Hayoun elle retourne chercher la charrette, la pousse dans la dépendance et y déverse tous les débris dans un coin. Elle retourne chez elle avec la charrette vide, la remplit des débris précédents stockés sous son appentis, et les vide au même endroit.

MIDI. Youngha de dos, assis dans l’herbe sur sa veste, près d’un gros arbre. Son panier à outils près de lui. Il mange des Kimbaps1 en buvant du café à même une bouteille thermos. La caméra zoome avant et navigue dans le paysage, droite/gauche, gauche/droite. Youngha se lève et réapparait de dos dans le champ. Il se retourne, se penche (on ne le voit plus), attrape sa tasse de café, se relève (réapparaît). Il termine son café, s’essuie la bouche, range ses affaires, attrape une paire de jumelles qu’il se met autour du cou et se dirige vers l’arbre. Il tourne autour, regarde ses branches, grimpe dedans et disparait dans les feuillages. Il émerge en haut de l’arbre. Il observe attentivement le paysage avec les jumelles. On voit passer au fond, derrière lui qu'on voit toujours de dos, le quatuor, vêtu en ouvriers. La vieille femme assise dans une brouette poussée par le jeune homme. La jeune femme porte encore son bandage de corsaire sur l’œil. Elle fait la roue au milieu de la route. C’est une acrobate.


DÉBUT D’APRÈS-MIDI. Hayoun finit de reboucher un impact de balle dans le mur d’une maison du quartier occidental. Elle pose sa spatule sur une feuille de journal sur laquelle est posé un seau plein de ciment. Elle trempe sa main dans un seau d’eau, s’approche du trou, passe la main sur le ciment pour le lisser, regarde de près. Elle entre dans la maison où elle va ranger le seau d’eau, le ciment et la spatule. Elle ramasse ses outils et les met dans le panier qu’elle pose sous le auvent, devant la maison. Puis elle fait le tour de la maison et monte l’escalier.

Elle inspecte la façade et le mur d’enceinte de la terrasse. Laisse glisser sa main sur les murs. S’assoit sur une marche en haut de l’escalier, et sort une boite de bonbons de sa poche. En met un dans sa bouche. Elle le mâche avec application et un plaisir visible. Récite la même scène de la légende de Chung Yang. Difficile car le bonbon colle aux dents. Elle met les doigts dans sa bouche, et retire des petits morceaux de bonbon tout en récitant. C’est assez confus. Elle s’arrête. Puis elle sort le petit tube de métal de sa poche, le dépose à côté d’elle, sur la marche où elle est assise, et arrache dans son carnet une page sur laquelle elle écrit : « Je suis Hayoun. Et vous ? ». Elle plie la feuille en deux, puis la roule très finement, dévisse le tube, met le rouleau de papier dedans et referme le tube. Le remet dans sa poche. Elle mange tranquillement un autre bonbon, se relève et descend l’escalier.

Au moment où elle se relève, l’homme plus âgé du quatuor passe devant la maison, seul, mais il ne la remarque pas, continue son chemin, assez pressé. Le jeune homme du quatuor le suit de peu, et il tourne la tête de son côté. Il pousse une brouette remplie de débris de bois et de métal. Ils se regardent, le jeune homme semble très gêné de cette rencontre. Il marque une pause, une hésitation, puis il s’éloigne rapidement. Hayoun descend l’escalier quatre à quatre, range rapidement dans son panier tous les outils qu’elle avait posés au sol, attrape son panier et fonce dans la même direction que le jeune homme.

La caméra la suit qui suit l’homme. Le premier homme a disparu. Le jeune homme marche vite, et passe le coin d’une rue. Elle se met à courir pour tenter de le rattraper. Elle se précipite au coin de la rue, mais il a disparu. Elle reste debout au milieu de la rue, regardant autour d’elle. Elle se trouve près des maisons bleue et jaune.


MILIEU D’APRÈS-MIDI. La haie. Lent travelling gauche/droite, en plan rapproché la mare. On s’approche un peu plus. La mare est pleine de boue, quelques rares plantes en émergent. Gros plan sur des bulles d’air, de minuscules choses vivantes, des gobies.

FIN D’APRÈS-MIDI. Travelling marché, le soldat français avance dans les ruelles, silencieux. Il ne fait presque aucun de bruit, sa marche est plus fluide, plus assurée. Il ne se retourne plus toutes les 10 secondes. Il a repris confiance.

Le soldat, chuchotant
Il faut accélérer. Ils vont nous repérer et ce sera foutu. On a tout juste le temps. Mais si, on n’a plus le choix, faut y aller ! Je ne peux pas, mon capitaine, je ne peux pas donner les ordres. Je ne suis pas qualifié. Vous allez vous en remettre, alllez ! C’est vous qui devez donner les ordres. Mais si vous pouvez ! Mais qu’est-ce qu’on fout là, hein, mon capitaine ? Hein ? On sait pourquoi on est là ? On sait de quel côté on est là ? Vous êtes sûr… ? Moi je suis pas sûr... C’est pas si clair que ça. Bon, faut y aller maintenant, sinon, on est foutus ! Donnez l’ordre, mon capitaine…. Allez-y, donnez l’ordre !