MIDI. Un champ de maïs derrière le village Choseon. Le quatuor est en train de courir après le chien, le filet à la main. Les deux hommes tiennent le filet déplié et courent très vite. La jeune femme court derrière, et la vieille brandit sa canne et les encourage en criant. Le chien perd du terrain. Il entre dans la forêt. Le quatuor s’arrête net. Les deux hommes appellent le chien en hurlant et en l'insultant. Ils finissent par revenir sur leurs pas, furieux. Un silence. Puis un bruit d’explosion. Le quatuor s’immobilise et regarde en direction de la forêt. Une petite colonne de fumée monte au-dessus de la cime des arbres. Une mine a explosé. Un moment de suspension. Portraits des quatre du quatuor en GP, immobiles, plan moyen, regardant vers la forêt, en tension.
Le jeune homme
Le voilà !
Le chien sort de la forêt un peu plus loin, en courant à toute allure, avec une patte de biche entre les dents. Le quatuor se relance à sa poursuite, avec beaucoup de hargne. Ils crient tous en même temps, un bruit féroce. Le chien est vieux et assez lent, il perd du terrain.
MIDI. Hayoun finit de déjeuner devant sa maison, assise par terre sur la terrasse. Elle débarrasse et entre dans la maison, en ressort et s’assoit sur le banc de sa terrasse. Elle commence, tout en regardant au loin, à répéter la scène de Chungyang, sans y mettre le ton, l'air préoccupé par autre chose. Elle fait une grimace, quelque chose d’inopportun lui est passé à l’esprit, puis elle se tait, se lève, et refait le tour de sa maison. Elle cherche le chien.
Hayoun
Le chien ? Le chien ? Viens petit. J’ai des choses à manger.
DÉBUT D’APRÈS-MIDI. Youngha creuse un trou dans son jardin. Il va planter un cerisier, bien que ce n'est pas du tout la période. Le trou commence à devenir vraiment grand, et de l’eau affleure à la surface. Il s’arrête de creuser, se repose un peu sur sa pelle et regarde, au fond du trou, la surface de l’eau : une silhouette passe rapidement derrière lui. Il se retourne, mais ne voit personne. Il est troublé, il s’allonge au bord du trou et regarde la surface de l’eau encore un moment. Puis il se relève, consolide les bords du trou en tapant d’abord avec la pelle puis avec ses mains. La caméra continue de fixer la surface de l’eau, guette ses frémissements, les reflets des nuages qui s’y impriment.
MILIEU D’APRÈS-MIDI. Hayoun est en train de jardiner pas loin de la prison. Elle range ses outils et se dirige vers le village Choseon. Elle tombe sur un tas de débris en plein milieu de la rue. Elle entend des pas et des voix et aperçoit le quatuor qui s’éloigne en poussant une charrette vide. Une dispute entre la vieille et la jeune femme. Elles parlent entre elles si vite qu’on ne comprend pas ce qu’elles disent….
DÉBUT DE SOIRÉE. Youngha et Yong boivent une bière sur la terrasse de la maison de Youngha.
Yong
Tu vois, tu commences à t'y faire... C'est pas désagréable quand même. Tu voulais être tranquille, du coup t'es tranquille !Youngha
Il y a quelqu'un d'autre qui travaille là, non ?Yong
Mais non, y'a personne ! Tu es absolument tout seul sur le site. Les autres sont tous à l'administration, à l'entrée du studio. Ils ne mettent jamais les pieds ici. Parfois des visiteurs, mais de moins en moins. Il est question qu'on déménage. Le patron cherche un autre site...Youngha
Ah bon ! C'est curieux. J'avais l'impression... ?
Youngha laisse sa phrase en suspens. Au loin, entre deux maisons, il voit le quatuor, vêtu de blanc, qui traverse un champ en direction d'une cabane. Les deux hommes portent des Gats. Le père marche en tête et brandit une bannière représentant un poisson. Les trois autres, derrière, récitent une sorte de comptine dont on ne distingue pas les paroles, mais seulement le rythme et l’air. Le jeune homme et la jeune femme tiennent la femme âgée par le bras et le jeune homme brandit la canne de la vieille femme en rythme.
Youngha les regarde, puis regarde Yng qui porte son regard dans la même direction. Il semble ne pas les voir. Youngha regarde attentivement Yong, qui finit par dire :
Yong
Bon, allez, je rentre chez moi. Merci pour la bière Yongha. Ce sera ma tournée la semaine prochaine. Prends soin de toi.Youngha (fixant Yong, puis le quatuor)
Oui, merci pour ta visite Yong. A bientôt.
Yong s'en va. Youngha le regarde s'éloigner puis dans la direction du quatuor. Il s'assied, finit sa bière, et regarde au loin, longuement.
DÉBUT DE SOIRÉE. La mare. Gros plan. Un poisson tourne en rond dans le bocal invisible de la mare et des dizaines de têtards frétillent tout autour. Au fond de la mare, des traces d’un ancien plancher.
CRÉPUSCULE. Le quatuor traverse l’esplanade de la JSA. Les deux hommes sont vêtus en soldats. La jeune femme porte un hanbok vert sombre et un casque de soldat qui oscille sur sa petite tête. La vieille est vêtue d’un hanbok rouge et blanc et porte un foulard sur la tête. Ils poussent et tirent une charrette sur laquelle le chien est étendu sur le dos attaché par les pattes aux montants, immobile. Mort. La patte de la biche est accrochée aux montants de la charrette. Youngha arrive sur l’esplanade et voit le quatuor passer. Il s’immobilise. Il voit le chien mort sur la charrette. Un grand silence sur l'esplanade du village. On n’entend même pas le grincement des roues de la charrette. Un silence parfait.
CRÉPUSCULE. Hayoun arpente les rues du studio avec une lampe-torche. Elle appelle le chien. Elle cherche des points élevés pour regarder au plus loin. Mais le chien ne se montre pas.
AUBE. Le quartier européen, les mêmes deux maisons qui ouvrent sur le champ par derrière. Hayoun passe dans la rue, de gauche à droite, une faux sur l’épaule. A ce moment-là apparait à la fenêtre de la maison jaune la jeune femme du quatuor, qui vient de se réveiller et s’étire. Elle est brutalement tirée en arrière par la femme plus âgée, qui l’éloigne de la fenêtre au moment où Hayoun passe. Celle-ci ne les voit pas et continue son chemin. Lorsqu’elle est passée, la caméra contourne la maison et on voit apparaître la jeune femme sur la terrasse sur le côté : elle joue à Sarah Bernhardt qui se réveille. La caméra pivote lentement sur le champ en arrière : une cabane en bois et en chaume au milieu des champs. On distingue peu à peu le jeune homme du quatuor qui dort à l’étage de la cabane. L’homme plus âgé est en train d’inspecter un grand filet au pied de la cabane, il l’étend par terre, il regarde s’il n’est pas déchiré. Le jeune homme se réveille, saute à terre et tombe sur le filet. L’autre homme, sans un mot, lui donne un grand coup de pied, et le jeune homme tombe par terre. Il se dépêche de sortir du filet.
FIN DE MATINÉE. Youngha tente à nouveau de ranger derrière le bâtiment principal de la JSA. Il avise la porte fermée par un cadenas. Il tripote un peu le cadenas, puis il sort une grosse pince de sa caisse à outils et il coupe la chaine qui ferme la porte. Il est à la fois soulagé d’avoir pris cette décision et inquiet de ce qu’il va trouver derrière la porte. Il ouvre la porte et entre lentement dans le hangar. Il fait sombre. Il s’avance au milieu de tout un fatras de planches, de débris de verre et de tôles ondulées. Il manque de tomber. Il semble que tous les débris de la guerre qui apparaissent dans le village viennent de là. La caméra le suit dans sa progression difficile au milieu des débris. Il trébuche et tombe par terre. Il ressort du bâtiment furieux. Il s’est fait mal au bras. Il donne de grands coups de pieds dans tout ce qui lui barre la route. Il referme la porte, pose un nouveau cadenas et se dirige vers les escaliers. Il s’assoit en haut des marches et se frotte le bras. Il voit le chien qui traverse l’esplanade. Il appelle le chien, qui vient vers lui. Il lui caresse la tête. Il avise le tube attaché au collier. Il le regarde de plus près. Il l’ouvre et lit le petit message. Il sourit. Il sort son crayon, et au dos du message, il écrit : « Je suis Young-ha. Où êtes-vous ? Signaux sonores à minuit sur l'esplanade ? ». Il remet le message dans le petit tube, caresse encore le chien, et descend vers l’esplanade. Le chien le suit.
LA HAIE. Très lent travelling gauche/droite, en plan plus serré que le précédent, sur la haie d’arbres avec la petite mare. Au-dessus de la mare, un nuage très fin. La caméra s’approche lentement de la mare : des objets sont pris dans la vase, un pot cassé, un vase en métal, l’eau est devenue plus claire, des plantes aquatiques, des petits poissons qui nagent en rond, comme enfermés dans un bocal invisible.
MIDI. Le soldat arpente les ruelles.
Le soldat récapitule dans sa tête
Une semaine je suis resté. Juste une semaine. Après, François est mort. On est partis trop tard. On s’est fait canarder comme des bleus. La petite, j’aurais bien aimé la voir, mais c’est un peu foutu… Faut que je parte. Faut pas que je reste là. C’est trop tard. Je suis plus bon à rien ici.
Il passe devant une maison en bois et en chaume, la dépasse, revient en arrière, ouvre très doucement une fenêtre : une pièce vide et propre, dont le plancher est à 1 mètre du sol. Face à la fenêtre, une autre fenêtre. Il regarde la pièce, à droite et à gauche, grimpe sur le plancher, regarde autour de lui, ouvre lentement la fenêtre de l’autre côté et regarde la ruelle en face à travers la fenêtre. Le chien est là, assis au milieu de la rue, qui semble l’attendre. Le chien se tourne vers lui, le soldat saute de l’autre côté. Le chien se lève, et remonte la rue. Le soldat regarde à droite et à gauche, s’éloigne en suivant le chien et disparaît au bout de la rue. On les voit à travers les deux fenêtres ouvertes. Le soldat a finalement quitté les ruelles qui lui servaient de tranchées.