JOUR 5

AUBE. Le quatuor arrive devant la maison de Youngha. Ils sont tous vêtus en ouvriers. Sur la charrette des seaux remplis de terre et des pelles. Ils entrent dans le jardin et le père rebouche le trou que Youngha a creusé la veille. Il fait ça tranquillement, sans se presser. Les trois autres le regardent, immobiles, depuis la rue. La jeune femme porte le collier du chien au cou. Une laisse de cuir est accrochée au collier et le jeune homme en tient l’extrémité. Youngha, alerté par un rire de la jeune femme, sort de chez lui au moment où le quatuor s’en va. Le quatuor le regarde en silence, Youngha fait de même, depuis sa porte. Il avise le trou rebouché, le collier du chien autour du cou de la jeune femme. Et le petit tube. Il fixe le petit tube puis s’efforce de regarder ailleurs. La jeune femme passe la main sur le collier et le toise. Le quatuor, immobile, fixe Youngha silencieusement, sans animosité, puis s’éloigne tranquillement. Youngha les regarde s'éloigner. Les deux jeunes gens chuchotent entre eux et se retournent vers lui. La jeune femme lui jette des regards insistants, arrogants, traîne en arrière pour continuer de le fixer. Le jeune homme tire sur la laisse pour la faire avancer. Puis Youngha rentre dans sa maison, referme la porte et allume la lumière. La lumière par la fenêtre de la maison, le jour qui se lève.

DÉBUT DE MATINÉE. La mare. Très beau temps, ciel dégagé. On s’approche de la mare. Un poisson tourne en rond, le bocal a disparu, d'autres petits poissons frétillent. Au fond de la mare, les traces du plancher sont plus nettes.


8h00. Hayoun devant sa maison. Ses outils dans un caddy de supermarché. Elle saute de la terrasse, fait le tour de la maison et appelle :

Hayoun
Le chien ? Le chien ???  Allez viens manger !

Mais pas de chien et, après deux tours de la maison, elle dépose un bol de nourriture sur la terrasse puis part au travail en poussant le caddy. Elle s’éloigne lentement, à regret. Elle jette des regards en arrière.

FIN DE MATINÉE. Gros plan sur un serrure. Une clé est introduite. Zoom arrière, porte bleue d’un bâtiment de la JSA à Kofic. Youngha ouvre la porte, zoom arrière, on voit maintenant toute la façade du bâtiment et l’espace à droite du bâtiment où se trouve le petit muret qui matérialise la frontière.

Youngha entre dans le bâtiment avec un panier plein de chiffons, et de produits nettoyants. Il pose son panier par terre. On voit toute la pièce, les fenêtres qui donnent sur la frontière. Youngha commence à nettoyer la table, en insistant sur la ligne qui matérialise la frontière, donne un coup de chiffon rapide sur les chaises, puis installe les effigies de soldats dans l’espace. Ces effigies, de taille humaine, représentent des soldats du nord et du sud, des figurants de papier. Youngha essaie plusieurs endroits, s'amuse à inverser leurs positions géographiques, à les aligner sur la frontière.
On entend arriver bruyamment un groupe d’enfants avec leur instituteur qui s’installent de chaque côté du petit muret de la frontière, juste derrière les fenêtres. Deux des enfants sont habillés en soldats du nord et du sud, d'autres tiennent un gros micro avec une énorme bonnette, un clap, un une caméra, un pied, un spot etc. Youngha les observe à travers une fenêtre. On n’entend pas très bien ce qu’ils disent, mais on les voit se positionner sur la frontière. Le petit soldat du sud se met en position offensive de Taekwondo. Le petit soldat du nord, plus décontracté, fait des photos avec un téléphone mobile rose. On entend la voix de l'instituteur qu'on ne voit pas, qui leur fait des recommandations, leur pose des questions. Les enfants répondent en criant aux questions. Youngha termine son ménage dans le bâtiment, un coup de balai au sol, puis il sort avec son panier, ferme la porte du bâtiment à clé, et s’approche doucement du coin du bâtiment pour observer le groupe d’enfant. Il sont en train de répéter leur rôles, chacun à sa place, sur les indications de leur instituteur. Tous sauf un enfant, qui tourne le dos aux autres, son script à la main, et qui soulève lentement le pied droit puis le fait redescendre tout aussi lentement au-dessus du petit muret de la frontière.

L’instituteur
Hoam, qu’est-ce que tu fais ? Mets-toi à ta place !


Le petit garçon sursaute et fait retomber son pied droit lourdement pile sur le muret de la frontière, comme pour l'écraser. Il regarde son pied, puis regarde l’instituteur avec un air de triomphe, et court se mettre à sa place, derrière le caméraman.

Youngha se retourne vers la caméra, sourit, et s’éloigne, son panier à la main. En arrière plan, les enfants commencent à déclamer leurs rôles (textes de « JSA » de Park Chan-wook).

DÉBUT D’APRÈS MIDI. Derrière le village Choseon, un grand pré. Une maison assez grande, au creux d'un verger, qui a l'air habitée. Du linge, des outils, deux vélos. Un troupeau de chèvres blanches traverse le haut d’une rue. Un jeune berger les suit lentement, un livre à la main. On suit lentement le berger et les chèvres. Hayoun, au loin, est en train de réparer une barrière, plante des clous pour la consolider, passe de la peinture blanche. Un militaire vient voir le berger et discute avec lui. Il porte l’uniforme du sud avec la casquette du nord. Ils discutent tranquillement tous les deux en suivant le troupeau. Ils approchent de la forêt. Ils s’arrêtent net et les chèvres aussi.

MILIEU D’APRÈS-MIDI. Hayoun devant un paysage du Mont Paektu. Cadrée jusqu’aux cuisses environ. De profil droit, elle lit un plan. Elle ne le comprend pas tout de suite, elle le retourne. Elle sait maintenant où elle va. Elle se retourne en en arrière.

Hayoun, en faisant un geste
Ca y est, j'ai trouvé ! On y va, c’est parti !

Elle commence à marcher lentement, en jetant un regard sur le Mont Paektu pour voir s'il la suit. Elle accélère et le paysage se déplace à son rythme. Elle s’arrête. Le paysage s’arrête un poil après elle. Elle regarde le plan encore, vérifie quelque chose.

Hayoun
Oui, bon, c’est là. On est arrivés.

Lent zoom arrière : Le Mont Paektu est une « découverte » fixée sur des montants de bois tenus par deux ouvriers. Elle vérifie sur son plan, fait avancer un peu l’ouvrier qui tient le montant de gauche. Le zoom arrière laisse voir maintenant la totalité de la découverte. Deux autres ouvriers portent des pelles, trainent en arrière et discutent en fumant. Hayoun leur désigne les endroits où il faut creuser. Ils creusent leurs trous, assez profonds, et les deux autres ouvriers enfoncent les montants de bois, dont les pieds sont cerclés de métal, dans les trous. Les ouvriers aux pelles rebouchent les trous et aplatissent du pied pour consolider.

Hayoun
Il faudra cimenter, sinon ça ne tiendra pas longtemps. Vous pourrez faire ça quand ?

Un ouvrier
Demain matin. 10h.

Hayoun
Bon, ben à demain alors. Salut.

Les quatre ouvriers s’éloignent, et Hayoun regarde, de dos, la découverte, un petit moment. Elle avance, recule, regarde l’effet qu’elle produit sur l’environnement. Elle fait quelques photos et un petit salut à la découverte, puis elle s’éloigne vers la gauche, un sourire aux lèvres.


FIN D’APRÈS-MIDI. Youngha traverse le studio avec une très grande échelle à deux pans. Il se dirige vers le point le plus haut du studio de cinéma, le toit de la maison du Nord. L’arrière du bâtiment a été partiellement dégagé. Il remarque cela, fait quelques pas sur le site, très étonné. Il arpente le site, cherche à comprendre. Une nouvelle chaîne, beaucoup plus épaisse, a été posée sur la porte, et le cadenas a été changé. Le nouveau cadenas est énorme, et la porte du hangar est à nouveau bouclée. Il s'attarde un peu sur le cadenas, puis pose l’échelle contre le mur, grimpe sur le toit, tire l’échelle, la déplie et l'installe sur le toit puis grimpe tout en haut. Il regarde tout autour de lui avec ses jumelles, puis il redescend. Il regarde l’heure à sa montre. Il replie l'échelle, la fait glisser au sol, redescend. Il remonte avec deux transatlantiques usagés en bois et en toile, et les installe sur le toit. Il redescend encore et remonte un pack de bière sur la terrasse. Il ouvre une bière, s’installe confortablement dans l’un des transats, il regarde à nouveau sa montre. Il met ses lunettes de soleil, et commence à boire sa bière au soleil. Il est content, tout est en place. On entend des pas puis la voix de son ami sans le voir, qui vient du bas:

Yong
Allo, tu es là ?

Youngha
Oui oui, monte, tout est prêt. Je t’attendais.

Youngha fait glisser l'échelle vers Yong le long du mur.

CRÉPUSCULE. Un muret d'une quarantaine de centimètres de haut. Derrière passe le quatuor, vêtu de blanc, les Gats noirs sur les têtes des deux hommes, des petits chapeaux sur les têtes des femmes. Ils portent en procession, sur un brancard sculpté en bois et très coloré, une statue de biche en plâtre peint. On ne voit que le haut des corps du quatuor et la statue de la biche, debout sur 3 pattes.

La biche est solidement arrimée par de grosses cordes. Sa blancheur contraste avec les couleurs vives du brancard. La nuit tombe. Chacun des membres du quatuor tient un des bras du brancard. Les deux femmes devant, les deux hommes derrière. Le brancard penche un peu vers l’avant. Des lampes à huile sont enfilées sur les quatre bras du brancard. Une chanson s'élève, assez triste, qui parle d’une biche morte, tuée par un chien sanguinaire. Des paroles que la vieille femme improvise au fur et à mesure, et que les trois autres reprennent en choeur. La caméra les attrape de face, ils arrivent du fond par une des rues du village occidental. Au fond de la charrette, la peau du chien est étalée. Ils font le tour devant la peinture du vieux corsaire, tournent à gauche et repartent dans l’autre sens. Un convoi mortuaire.

Hayoun arrive dans leur dos, on la voit de dos elle-même. Elle commence à les suivre, lentement, d’abord de loin, au même rythme qu’eux. Mais elle se rapproche de plus en plus. Elle aperçoit la peau de chien, le collier au cou de la jeune femme. La vieille femme se retourne et la voit. Elle prévient les autres. Tout le monde s’immobilise, se retourne et se dévisage, elle avec curiosité et effroi, eux avec colère. Ils se remettent à marcher un peu plus vite, mais Hayoun marche plus vite aussi. Ils accélèrent, commencent à courir, mais la biche chancèle dangereusement, puis tombe et se casse. Le quatuor s’immobilise, regarde la biche, se retourne vers Hayoun, l’insultent et la maudissent puis posent à terre le brancard. Comme Hayoun ne s’en va pas, qu'elle ne bronche pas, qu'elle les regarde avec un air déterminé, ils se taisent. Hayoun s’approche des morceaux de la biche, s’accroupit, les regarde de près, en saisit quelques uns, puis décroche la peau du chien de l'attelage, fait demi-tour et l'emporte avec elle. Hayoun de face qui s'éloigne du convoi avec la peau du chien, au fond le quatuor qui ramasse tous les morceaux de la biche, les déposent sur le brancard, en saisissent chacun un bras, et s'éloignent silencieusement dans l'autre sens.


CRÉPUSCULE, PLUS TARD. Hayoun, éclairée par sa lampe frontale, rebouche un trou dans son jardin. Elle aplatit la terre avec son pied, et chante une petite chanson simple et triste. Elle enterre le chien jaune. Puis elle met une veste et se dirige vers le quartier occidental. Elle éclaire les coins sombres, Elle se dirige dans le champ derrière les maisons, puis vers la cabane où dort le quatuor. Elle distingue des formes allongées et baisse sa lampe pour ne pas les réveiller. Les deux femmes du quatuor sont endormies sur des lits de camps en bois. Elle s’approche silencieusement après avoir mis sa lampe en veilleuse. Elle regarde autour d’elle, les deux hommes doivent dormir à l'étage. On distingue les visages endormis des deux femmes, tournés l’un vers l’autre. Elle avise le collier de chien autour du cou de la jeune femme. Elle avance la main pour attraper le tube mais la vieille femme ouvre grand les yeux et, sans un bruit, la regarde. Elle recule, éteint la lampe, et s’éloigne rapidement.


NUIT. Youngha retourne vers la JSA. Il grimpe sur le toit du bâtiment du nord, s'installe sur un des deux transatlantiques, et regarde l’heure. Bientôt minuit. Il saisit une sorte de petit tambour posé à terre à côté de son transat sur lequel il improvise un rythme qu'il joue de plus en plus précisément et de plus en plus fort. Au bout d'un moment, un autre tambour lui répond. Les deux tambours créeent ensemble un rythme, avec des variations que l’un reprend de l’autre. La musique du film suit ce rythme. Puis un autre tambour s'ajoute encore, et un quatrième. C’est le quatuor. On entend des éclats de rire au loin, au milieu du silence. Youngha comprend et cesse de jouer.

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